Depuis quelques années, la méthode « lean » de création de start-up fait des émules. Son leitmotiv : tester. Son objectif : échouer rapidement pour s’améliorer rapidement.
Echouer plus rapidement. C’est là toute la philosophie de la méthode baptisée « lean start-up », qui a vu le jour aux Etats-Unis en 2008 sous la plume d’Eric Ries. L’objectif de l’entrepreneur de la Silicon Valley : pousser les jeunes startupers à tester leurs idées le plus tôt possible, en supprimant le superflu et en diminuant les coûts. Objectif : cibler un acheteur avant même de développer le produit et tester la validité de l’hypothèse et de la cible avant le développement du logiciel. Si un projet est voué à l’échec, autant s’en rendre compte rapidement et l’abandonner –ou pivoter-, plutôt que de s’acharner. Le lean start-up, affiné par Ash Maurya dans son livre Running Lean, a connu en quelques années un succès phénoménal. Accélérateur et incubateurs ne jurent plus que par cette méthode.
Eric Ries a théorisé pour la première fois la méthode « lean » en 2008, dans un post de blog. © Margot Duane
Partout dans le monde, la société Lean Startup Machine organise des workshops pour convertir les jeunes entrepreneurs. En trois jours, ils apprennent à passer par les différentes étapes de la méthode. Après s’être implantée aux Etats-Unis en organisant une cinquantaine d’événements par an, la Lean Start-up Machine a aussi fait son arrivée en Europe, et en France en mai dernier. Les 6,7 et 8 décembre prochain, elle sera à San Francisco pour « le plus grand workshop jamais organisé », qui réunira plus de 500 entrepreneurs.
A Paris, Le Camping en a fait sa ligne directrice. Ateliers, interventions de mentors : tous les entrepreneurs sont invités à adopter la méthode. « Eric Ries et Ash Maurya ont développé le Lean start-up en montant des boîtes », souligne Elise Nebout, manager. « Ça relève du bon sens, de l’expérience « . A l’origine de la mérhode, une observation simple : nombreuses sont les start-up qui dépensent temps et argent pour développer un site ou un service sans l’avoir vraiment testé, avant de se rendre compte qu’il ne séduit pas les utilisateurs. « L’entrepreneur ne doit pas rester dans sa tour d’ivoire et développer sa start-up sans valider son produit. » Les recommandations : développer le moins possible, tester et abandonner rapidement les idées non viables.
Itération
Les échecs ont peu d’impact
Le lean start-up repose sur une relation étroite avec les consommateurs. « Dès le premier jour, il faut aller chercher leur feedback « , souligne Elise Nebout. « Puis le produit doit être testé en permanence. » Au cœur du concept : l’itération, une boucle constante entre le consommateur et la production. Cette relation permet de « se tromper plus vite », analyse l’entrepreneur Sébastien Sacard. Cet ancien de Kelkoo puis de Yahoo a découvert le Lean start-up en 2009 mais ne l’a pas appliqué immédiatement dans la start-up qu’il créait à l’époque. « Mes associés n’y croyaient pas », regrette-t-il. Pourtant, depuis deux ans, la méthode lean lui a permis d’écarter plusieurs idées de création d’entreprises. « Je me suis aperçu que les idées n’étaient pas viables et que la première ébauche de modèle économique était mauvaise. » Il prépare actuellement un nouveau test, à travers un protocole « mis en place de manière systématique, scientifique ». Si les idées qu’il a testées jusqu’à maintenant ne se sont pas avérées fructueuses, Sébastien Sacard n’a pas perdu grand chose : ses dépenses ont été minimes. « Traditionnellement, les créations de start-up reposent sur des projets énormes et fastidieux, alors que la probabilité d’échec est grande », commente Fiodor Tonti, entrepreneur converti à la méthode et mentor au Camping. « Si les hypothèses de départ sont fausses, les pertes –de temps, d’argent- sont très importantes. En adoptant la méthode lean, on se permet d’échouer, parce que cela aura peu d’impact. »
Définir le problème et la cible
Dès le début, l’entrepreneur doit exprimer une problématique et définir qui est touché par ce problème, la cible. « Une fois l’hypothèse énoncée, il faut déterminer des conditions qui, si elles sont remplies, vont permettre de la valider », explique Fiodor Tonti. « Par exemple, je peux décider qu’elle est viable à partir du moment où six personnes sur dix me la confirment. » Le lean start-up se veut méthodique et scientifique.
Valider ses hypothèses : « Get out of the building »
Dès lors, plutôt que de créer un premier produit, l’entrepreneur doit interviewer sa cible en se rendant sur le terrain. « Il faut poser des questions ouvertes pour découvrir les problématiques liées à l’hypothèse de départ », poursuit Fiodor Tonti. Objectif des interviews : valider ou infirmer cette hypothèse, voire la faire évoluer –soit la problématique n’existe pas vraiment, soit la cible n’est pas la bonne. En adaptant ces deux variables, l’entrepreneur doit trouver la bonne combinaison pour sa start-up.
Proposer et tester une solution
Elise Nebout, manager du Camping.© S. de P.
Une fois le problème et la cible validés, une solution peut être avancée… et immédiatement testée, en retournant à la rencontre des potentiels clients. L’entrepreneur propose d’acheter sa solution, en précommande par exemple, pour vérifier qu’il y ait bien un marché. « On peut par exemple créer une esquisse de site, avec les principales fonctions, sans entrer dans les détails. Cela permet de voir si une communauté se construit autour de la demande et de collecter des informations pour améliorer le produit, ajuster le tir », commente Elise Nebout. « L’entrepreneur doit être une éponge, se nourrir constamment du feedback. » Une fois les early adopters prêts à payer pour le service trouvés, le projet est validé.
Pas besoin de levée de fonds ou de moyens important : le bootstrap est roi. « La levée n’intervient que bien plus tard, quand des metrics valident le modèle, quand on dispose d’un produit fini et d’un plan de stratégie de développement sur plusieurs années », rappelle Elise Nebout. La méthode lean « permet de créer sans trop dépenser un produit qui s’adapte parfaitement au marché », conclut Fiodor Tonti.
Contre-intuitif
Si la méthode « lean » peut paraître simple, elle est en fait contre-intuitive, souligne Sébastien Sacard : rares sont les entrepreneurs qui réussissent à la mettre en pratique dès leur première tentative de création d’entreprise. « Quand on est entrepreneur, on est passionné et persuadé que ça va marcher. Tant que l’on n’a pas subi un échec, on a du mal à adopter la méthode lean et à modifier son idée de base. » Ainsi, les fondateurs de Scoop.it n’ont décidé de l’utiliser qu’après avoir décidé de pivoter, au bout de deux ans et demi de travail et de développement de leur outil « Goojet », constatant qu’il ne décollait pas. « Après six mois de réflexion, nous avons lancé une version béta privée très basique de Scoop.it, construite en quelques semaines, en adoptant un mode d’action complètement différent », raconte Guillaume Decugis, cofondateur. La méthode lean est sous-tendue par la nécessité d’accepter le pivot (Lire le dossier : « Start-up : comment réussir son pivot ?« , du 19/09/13). Prérequis : ne pas s’attacher à son idée et écouter. « Il faut être prêt à bousculer son idée initiale vers un projet complètement différent », rappelle Fiodor Tonti. Et Elise Nebout d’ajouter : « Le plus gros risque dans la création de start-up ? Développer une bulle de savoir autour du sujet que l’on traite et s’y accrocher. Refuser d’écouter le feedback et s’enfermer dans son idée. »
Par Aude Fredouelle